Environnements de vie urbains : la ville peut soigner !
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Environnements de vie urbains : la ville peut soigner !

Mots clés

Depuis Hippocrate, urbanisme et santé au sens de qualité de vie, bonheur et bien être ont toujours été liés. Créer des environnements de vie urbains favorables à la santé, remettre « l'humain » au coeur des politiques publiques d'urbanisme, évaluer les impacts santé sont les nouveaux défis à relever pour les professionnels, les habitants, les institutions et les décideurs.

Cet article est issu du « Dossier-ressources Urbanisme et Santé-Environnement » édité par le Réseau Régional Éduquer en Santé-Environnement Occitanie. 

Les leçons de l'histoire, urbanisme, santé

Les leçons de l'histoire

Hippocrate (dans son traité « Des airs, des eaux et des lieux », vers 460 - 370 avant notre ère) préconisait avant de soigner, de considérer le « milieu » au sens de saison et son influence ; d'acquérir des notions précises sur la nature des eaux ; l'état du sol ; le genre de vie des habitants. Les romains intègreront l'hygiène dans la ville (égouts, aqueducs, thermes...).

Avicenne (Savant persan, 980-1037) au Moyen-Âge apporte d'importantes contributions à l'hygiène personnelle et collective, alors que l'Europe déverse ses immondices dans les rues et les rivières... dont elle boit l'eau.

Au XVIIIème siècle, Lavoisier (Chimiste, philosophe et économiste, 1743-1794) se penche sur l'hygiène hospitalière, mais de bains, point ! Les hygiénistes anglais s'attaquent les premiers à la « saleté » de la cité : alimentation en eau potable, tout-à-l'égout.

Pasteur (scientifique français, chimiste et physicien de formation, 1822-1895), avec la microbiologie et les maladies infectieuses, oblige à tenir compte des milieux : ongles, puits du jardin, dans lesquels évoluent les « microbes ».

Au XIXème siècle, le préfet Haussmann a impulsé la « marchabilité » des parisiens en leur donnant à moins de dix minutes à pied de leurs domiciles, un parc ou un square. En aérant et ventilant Paris, en mettant en place des bus qui permettaient la traversée de la ville pour un prix modique, facilitant ainsi les déplacements pour relier anciens et nouveaux quartiers, il pose les prémices de l'urbanisme et de la santé environnementale.

Urbanisme, santé

Le Larousse définit l'urbanisme comme une « science doublée d'une technique de l'aménagement des villes ».

« […] en vue d'assurer le bien-être de l'homme et d'améliorer les rapports sociaux en préservant l'environnement. » rajoute le CNRS (Centre national de la recherche scientifique).

Le concept de santé a beaucoup évolué. En 1946, l'OMS (Organisation mondiale de la santé) la définit comme « un état de complet bien-être à la fois physique, mental et social et pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité ». Lalonde et Rochon y intègrent qu'elle est « le résultat dynamique de l'interaction […] de facteurs biologiques, d'habitudes de vie, de conditions environnementales et d'organisation du système de soins ». Whitehead et Dahlgren (2006) rajoutent l'idée de déterminants de santé. Les notions de qualité, satisfaction de la vie, bonheur puis « paix, abri, nourriture, revenu, rôle dans la société » viennent de nos jours compléter cette définition.

Cette évolution du concept santé est corroborée par les recherches scientifiques qui montrent que le système de soins participe seulement pour 20 % à l'état de santé d'une population, 80 % des facteurs qui y contribuent ne dépendent pas des progrès thérapeutiques.

Les environnements de vie (EDV), leurs rôles

Les EDV (Fig 1) qu'ils soient numériques, politiques, urbains… interagissent les uns sur les autres et contribuent à créer des EDV favorables ou non à la santé.

Environnements de Vie
Figure 1 : Environnements de Vie. C Cecchi, Colloque « Ethique et santé publique, environnements de vie, santé, architecture ». Ensam Montpellier 2016

Facteurs de santé favorables ou défavorables à la santé

Certains EDV sont communs à tous les membres d'une société, les environnements politiques par exemple, d'autres sont propres à chacun d'entre nous, comme les environnements familiaux. Il en va de même pour les facteurs de santé qui peuvent être individuels et/ou collectifs. Certains sont producteurs ou protecteurs de santé : alimentation équilibrée, espace vert, activité physique, air non pollué, empathie… (Fig 2). Ils se potentialisent et contribuent à la qualité de vie et au bien-être.

Environnements de vie
Figure 2 : Schéma d'après M De Spiegelare - C Cecchi « Environnements de vie - Débat avec les habitants d'une Métropole et suite... » Colloque CNFPT, Nancy, 2018

D'autres peuvent être des facteurs de réparation ou d'agression (Fig 3) comme l'insalubrité, les épidémies, la contamination... Ils relèvent souvent d'EDV individuels ou collectifs défavorables et sont parties prenantes dans le développement des maladies chroniques : obésité, pathologies respiratoires (tabac, pollution), cardio-vasculaires (sédentarité), stress, mal être, burn-out (conditions de travail, de vie difficiles). Les environnements sociétaux sont une des clés pour mieux appréhender les enjeux d'urbanisme et de santé.

Figure 3 : Schéma d'après M De Spiegelare - C Cecchi « Environnements de vie - Débat avec les habitants d'une Métropole et suite... » Colloque CNFPT, Nancy, 2018

 

Environnements sociétaux

En France, en 201811 on comptabilise plus de 750 000 naissances (source : INSEE), un habitant sur cinq a 65 ans ou plus, soit 13,1 millions de personnes : l'espérance de vie a augmenté (84 ans pour les femmes, 78 ans pour les hommes). Par ailleurs, 70 % de la population vit en milieu urbain et les villes du sud sont devenues de plus en plus attractives. Les grandes catastrophes écologiques ont une résonnance mondiale : canicules (15 000 décès en France en 2003), inondations, incendies, raz de marée, pollution de l'air (48 000 décès par an en France, selon le Rapport Husson)... et rendent le principe de précaution de plus en plus prégnant.

Les villes traînent derrière elles une mauvaise réputation. Il reste beaucoup à faire pour qu'elles deviennent véritablement saines, pour rendre les rues plus calmes, les espaces publics plus agréables et le centre-ville plus attractif. La gestion santé et urbanisme, s'est trop longtemps faite de façon sectorielle :

« Les urbanistes […] ont un rôle clé pour les villes en fonction de la manière dont ils […] garantissent des conditions de vie qui contribuent à la santé, au bien-être et à une bonne qualité de vie » (Hugh Barton, Catherine Tsourou, 2004)

Trois défis à relever pour le duo urbanisme et santé

Remettre l'humain au coeur des politiques publiques d'urbanisme

Ce défi passe par la prise en compte d'enjeux humains (éthique, maintien à domicile des séniors, petite enfance, éducation, etc.), environnementaux (végétalisation, biodiversité, adaptation au changement climatique, raréfaction des ressources, gestion des déchets, etc.), architecturaux (rénovation, habitat, densification, etc.)

Il existe par ailleurs des enjeux moins visibles de prime abord liés à l'urbanisme, que les projets d'urbanisme soient liés au développement économique, culturel d'un territoire ou liés à la mise en oeuvre d'un décret par exemple, ils doivent intégrer les enjeux de santé (prévention, handicap, inégalités sociales de santé, activité physique, etc) et ceux de l'aménagement des territoires (désertification, proximité, accessibilité, sécurité, etc.)

Pour exemple, l'implantation du Musée Soulages au coeur de Rodez avec pour corollaire la création d'un parc, en modifiant la géographie de la ville a impacté le comportement des habitants qui n'ont pas tardé à s'approprier les lieux.

Apporter un regard croisé, intégrer l'intelligence collective

Cela pose de nouvelles questions aux professionnels, élus et habitants comme celles des inégalités sociales de santé, des ondes électromagnétiques, des maladies vectorielles. Il devient une nécessité, au regard de l'émergence des maladies chroniques (maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires, diabète, etc.), de construire des espaces moins pathogènes et plus « soignants ».

Evaluer les impacts santé avant et après les projets

En amont des projets, une démarche récente, l'évaluation impact santé (EIS), « […] est un outil d'aide à la décision pour des politiques favorables à la santé. […] » (ARS Pays de la Loire, 2018). Les recommandations qui découlent des EIS donnent des axes prioritaires pour les projets à réaliser. Une évaluation des risques sanitaires (ERS) complète parfois certaines EIS. On constate cependant que ces évaluations d'impact ne sont pas encore suffisamment intégrées aux pratiques.

Conclusion

« Les villes nous façonnent autant que nous les façonnons » Jan Gehl (architecte-urbaniste danois).

L'approche holistique des environnements urbains rejoint la conception des « Milleniums » qui, selon le démographe Dowell Myers, sont « […] désireux de voir les villes s'adapter à leurs besoins et non l'inverse ». Les projets « bottom-up » (projets impliquant un processus ascendant) issus de réflexion avec les habitants s'imposent : ils permettront d'en finir avec une planification pensée du haut vers le bas (dit « top-down »), au profit d'une gouvernance davantage inclusive et collaborative.

Le facteur santé intégré à l'urbanisme apportera un argument supplémentaire à des politiques déjà portées au nom de la ville durable : mobilités douces, préservation de la biodiversité, résilience… Le vrai défi pour placer l'Humain au coeur de ses environnements de vie et « mettre la santé dans toutes les politiques publiques » (Déclaration d'Adelaïde, 2010) est de repenser le territoire ensemble, architectes, urbanistes, professionnels de santé, mais aussi et surtout habitants-usagers-citoyens (HUC), et ce en collaboration avec les institutions et les décideurs,

« La ville change, les comportements changent, mais l'architecture change encore peu ou pas assez. » (Robert FulliloveProfesseur Sociomedical Sciences at the Columbia University, Medical Center, New York- USA)

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